mercredi 23 mars 2011

Eaux de pirates: La mer d'Arabie.

À 09 :00 tapant le 7 février 2011, dix bateaux ont levé l’ancre des rives d’Uligan aux Maldives pour une randonnée qu’ils se souviendront pour le reste de leur vie. Le convoi Seabirds, tel est le nom que nous nous sommes donné, allait naviguer 1503 miles nautiques (2796 km) en formation durant plus de 13 jours sur ce qui est aujourd’hui considéré comme les eaux les plus dangereuses au monde. Plusieurs défis nous attendaient en ce jour ensoleillé de février. Les convois de voiliers ne sont pas inhabituels dans la région et leur but et de rendre les bateaux moins intéressants aux attaques de pirates. Mais dans le passé, ils avaient comme objectif la traversée du golfe d’Aden, une distance beaucoup plus courte, et durant laquelle les bateaux se déplaçaient uniquement à moteur afin de garder le control sur leur vitesse relative aux autres bateaux et de se maintenir en formation pendant plusieurs jours. Mais les pirates ont déplacé leurs activités du golfe d’Aden vers la mer d’Arabie et ce faisant, ont doublé la distance à parcourir en groupe, laquelle maintenant dépasse la capacité en carburant de la quasi-totalité des voiliers, et nous forçant ainsi à naviguer sous les voiles ce qui rend, par le fait même, la tâche de maintenir notre vitesse beaucoup plus difficile à cause de la disparité importante dans les caractéristiques propre à chaque voiliers. Naviguer en formation et à moteur pendant 6 jours d’affilé est considéré comme très difficile mais le faire pendant 13 jours sous les voiles est de la folie pure et simple mais fous nous étions tous, cela ne faisait aucun doute! La carte que vous voyez ici montre les deux passages que nous allions éventuellement parcourir dans ce voyage et le premier, en rouge, est celui que nous débutions lorsque nous avons quitté Uligan.

Une chose inévitable avec les voiliers c’est qu’ils brisent continuellement. Lors d’un long passage, tel que celui-ci, on s’attend que certaines choses aillent de travers. Mettez dix bateaux ensemble et cela devient une certitude. Notre premier problème s’est produit dès le départ lorsque tout le monde quittait le mouillage pour se mettre en position. Njord, un bateau scandinave, a placé un appel au groupe pour indiquer que leur moteur surchauffait. Nous avons tous ralenti et quelques minutes plus tard ils avaient réussi à remettre le système de refroidissement en marche. Il ne s’était pas écoulé plus de 30 minutes lorsqu’un autre bateau, Amante, a lui aussi eu un problème de refroidissement lequel fut également réparé en quelques minutes. Mais si les deux premières heures étaient à l’image du reste du voyage cela allait nous prendre six mois pour faire la traversée! Nous sommes tous arrivés au premier point de ralliement, à environ un mile d’Uligan, et nous sommes mis en formation. Mais alors que nous commencions à peine à nous habituer à naviguer ensemble, Njord a appelé à nouveau pour un problème de moteur. Le système de refroidissement n’arrivait simplement pas à fonctionner correctement et ils considéraient maintenant le bateau incapable de faire une telle traversée. Njord a alors décidé de faire demi-tour avec l’intention de retourner au Sri-Lanka où ils pourront faire les réparations nécessaires. Le convois Seabirds était maintenant réduit à neuf bateaux et le restera pour le reste du voyage.

Il n’y a pas grand-chose que l’on puisse faire contre les attaques de pirates. Ils sont assez bien organisés et très bien armés avec des fusils automatiques et semi-automatiques ainsi que des lance-grenades. Toutes des belles choses qu’un voilier ne peut rien faire contre lorsque le pire se présente. La seule chose que nous pouvons vraiment faire est de naviguer en groupe d’une façon sensiblement organisée et espérer que nous devenions trop de problèmes à leurs yeux pour qu’ils se donnent la peine de se préoccuper de nous. Si nous devions être approché par des bateaux menaçants, la procédure que nous avions définie est de mettre en marche ‘’Excalibur’’, ce qui consiste à se regrouper rapidement en une formation très serrée, à vitesse maximum, afin de rendre plus difficile la possibilité pour les pirates de se faufiler entre les bateaux, d’isoler leur cible et de les aborder. Il nous fallait évidement nous pratiquer à nous mettre en formation d’attaque et c’est ce que nous avons fait le premier jour une fois que tout le monde fût à l’aise à naviguer en groupe. Nous avons pris environs 12 minutes pour nous mettre en formation, ce qui peut sembler un peu long mais dans les circonstances je crois que c’était pas mal. Et en plus, c’était une opportunité idéale pour prendre des photos spectaculaires alors que les bateaux filaient à quelques mètres les uns des autres.

Les nuits étaient très exigeantes. Nous devions être de veille sans relâche afin de surveiller continuellement notre position par rapports aux autres bateaux. Afin de nous rendre moins visibles, nous naviguions avec un minimum de feux de navigation et la plupart n’utilisaient que de simples lampes solaires de jardin faite d’une seule DEL blanche. Un des bateaux, Margarita, était positionné à peu près au milieu du groupe et est devenu de-facto notre coordonateur de nuit avec Anders et Birgit qui ont passé leurs nuits, les yeux fixés sur le radar, à dire à l’un de tourner un peu à bâbord, à l’autre de ralentir un peu alors qu’un autre bateau devait accélérer. Après 13 nuits d’affilé, leur voix caractéristiques, tintées d’un accent Danois distinctif, sont tellement devenues à part entière de nos nuits que l’un des membres du convoi plaisantera plus tard en disant qu’il aurait dû les enregistrer car il avait de la difficulté à dormir sans la voix d’Anders en arrière plan! Lors d’une nuit froide et tourmentée, le vent s’était levé jusqu’à 25 nœuds et tout le monde se démenait afin de garder les bateaux en place. C’était exténuant mais Anders et Birgit n’ont pas lâché prise et pendant 12 heures d’affilé ils ont fait des appels à la radio avec une cadence d’un appel tous les cinq minutes en moyenne. Faire un tel travail pendant quatre heures est considéré un marathon mais 12 heures durant ils nous ont guidés dans la nuit comme le phare d’une rive parsemée de récifs. Ce jour-là Anders et Birgit ont gagné notre respect et notre gratitude et par la suite personne n’a questionné leur autorité à nous diriger pendant la nuit. Cela était à l’image du convoi et c’est ce qui a fait en sorte que toute cette aventure soit une réussite au bout du compte.

Bien sûr, nous avons eu notre lot d’embrouilles et de bris de bateau; problèmes de refroidissement des moteurs, voiles déchirées ou bien des autopilotes rendant l’âme en chemin. Sur Chocobo, la jointure de notre hauban de bâbord s’est même fendue en deux, et ce même si elle avait moins de deux ans d’âge, et nous avons dû arrêter le convoi pour descendre rapidement les voiles et avons été capable de remplacer la pièce défectueuse et de reprendre notre course en moins de 20 minutes. Les bateaux nous causaient bien des soucis mais les gens également. Certains tombant endormis et dérivant sur les autres ou bien d’autre ayant des difficultés à maintenir leur bateau en place. Mais aussi éprouvant que les choses pouvaient être, tout le monde a réussi à garder ses émotions sous contrôle et cela s’est montré essentiel au maintien du convoi en ordre et sécuritaire. C’était sans aucun doute très difficile physiquement mais l’aspect psychologique n’était laissé pour contre. Tout le long, nous étions en contact quotidien avec UKMTO qui suivait pas à pas notre position et nous tenait à jour sur les plus récentes attaques dans la région et les risques possibles pour nous. Plusieurs attaques de pirate ont eu lieu durant le temps de notre traversée mais aucune ne nous a autant troublé que l’attaque du voilier Américain ‘’Quest’’ qui a été abordé par les pirates et détourné vers la Somalie avec ses quatre membres d’équipage pris en otage. La dévastation psychologique fût immédiate et a mis en pièce notre hypothèse principale que les pirates ne s’intéressaient que très rarement aux voiliers et n’était intéressés que par les gros cargos. C’était d’autant plus difficile que, bien que nous ne connaissions pas personnellement les membres d’équipage du Quest, Danielle est à peu près certaine que nous étions amarrés non loin d’eux lors de notre séjour à Ao Chalong en Thaïlande. Cela nous fait définitivement voir les choses sur un angle très différent. Par contre, cette nouvelle est survenue alors que nous étions bien au-delà du point de non-retour et tout ce que nous pouvions faire était de continuer.

Le golfe d’Aden et la mer d’Arabie sont constamment patrouillées par des vaisseaux de guerre envoyés par différent pays et de temps en temps nous avons soit croisé l’uns de ces bateaux ou bien avons été survolés par un avions ou un hélicoptère de surveillance. Mais aussi rassurant que puisse être la présence de ces forces armées, il y peu de choses qu’elles puissent faire pour nous en cas d’une attaque. De un, la Mer d’Arabie fait environ 1500 miles de long ce qui représente à peu près la moitié de la largeur du Canada! La région est simplement immense et définitivement trop grande pour être gardée sous un contrôle stricte et à cela s’ajoute les règles d’engagement des militaires qui ne prennent action que si les pirates leur tire dessus, et ce, bien qu’ils sachent très bien l’identité et la position des bateaux pirates dans la région. Ils ont tout simplement les mains liées par les règles morales occidentales principalement dû au fait que les populations de ces pays, vivant dans leur environnement confortable et d’apparence sécuritaire, ne considèrent pas qu’il soit acceptable de tirer à vue les pauvres petits pirates et ont conduit la situation à se détériorer au point que les vies de centaines d’otages soient anéanties à chaque année!

Après un peu plus de 13 jours à naviguer en mer ensemble, les neuf bateaux du convoi Seabirds sont arrivés sains et sauf au port d’Al Mukalla au Yémen pour se reposer et se réapprovisionner. Mais durant la nuit lors de notre approche de la côte du Yémen, trois des bateaux se sont pris dans des lignes de pêche mais sans dommages permanents. À peu près au même moment, les quatre membres d’équipage du Quest ont été tués à bout portant par leurs ravisseurs. Cette nouvelle fût vraiment déprimante surtout après que nous aillons appris qu’un autre voilier, Danois cette fois, venait d’être également pris en otage par les pirates et que la famille au complet à bord, les parents et les enfants, étaient amenés en otage en Somalie alors que nous entrions dans le port Yémen. Mais nous avions également des préoccupations plus pressantes nous concernant puisque le Yémen, comme à peu près tous les pays du Moyen Orient cette année, était aux prises avec une instabilité politique grandissante rendant notre séjour dans la région encore plus intéressante. Pourquoi rester à travailler dans un bureau lorsqu’il est possible d’aller naviguer avec des pirates sur l’eau et des émeutes à terre? On se le demande vraiment! Ce que nous venions d’accomplir, de naviguer 1503 miles nautiques (2800km) en convoi, était impressionnant et nous étions tous très fier d’être arrivé sains et saufs à Mukalla mais ce n’était pas la fin de l’histoire. Nous avions encore le golfe d’Aden à traverser et bien que le but du convoi des Seabirds consistait au départ seulement dans la traversée de la Mer d’Arabie, il était clair dans l’esprit de tous que puisque nous étions maintenant si habitué à naviguer ensemble il était logique de continuer ensemble pour la dernière partie de ce que l’on appelle l’allée des pirates.